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Le procès de Léopold II, roi du Congo , COLETTE BRAECKMAN

Le monde anglo-saxon considère toujours Léopold II comme le patron sanguinaire du Congo. La télé s'empare du sujet. Remise en perspective ce soir sur La Deux.Léopold II, deuxième roi des Belges, celui dont les livres d'histoire n'ont retenu que quelques chromos (le roi bâtisseur, le géant dans une cave, etc.) est cette fois descendu de son piédestal pour être confronté au regard de l'histoire. Les charges sont lourdes, excessives dans leur formulation : génocide, holocauste, crimes comparables à ceux de Hitler...

Pour cet accusé-là, traîné sur le banc d'infamie, aucune circonstance atténuante n'est retenue, comme, par exemple, l'état d'esprit de ces débuts du capitalisme industriel, où l'exploitation des colonies au profit des métropoles était implacable, qu'il s'agisse de la France, de la Grande-Bretagne ou de la Belgique.

Il est vrai que les historiens de notre pays se sont longtemps montrés discrets sur ces premières années de la fondation de l'Etat « indépendant du Congo », où des millions de Congolais furent emportés par le travail forcé, le portage, les massacres. Ces crimes, à l'époque, furent dénoncés par Edmund Morel et Roger Casement, qui lancèrent les premières campagnes humanitaires des temps modernes.

Il fallut attendre l'œuvre modeste et opiniâtre du Belge Marchal, repris par l'Américain Hochschild, « Les fantômes du roi Léopold », pour que soit révélée au grand public l'extraordinaire violence de cette entreprise où l'on vit des mercenaires venus de toute l'Europe tailler un immense domaine privé au seul bénéfice d'un homme dont l'historien Jean Stengers disait, citant Stanley : « Le roi est d'une voracité incroyable ».

La BBC s'est emparée de ces récits d'horreur, qui avaient déjà inspiré Joseph Conrad, pour réaliser un documentaire implacable et manichéen, où l'on voit, d'un côté, Bruxelles embellie par les grands travaux réalisés avec l'argent venu d'Afrique et, de l'autre, de pitoyables images d'archives, montrant des indigènes aux mains mutilées, de longues files de porteurs, des prisonniers encordés. Entre le passé et le présent, entre ces images jaunies par l'histoire et les séquelles toujours visibles de cette exploitation forcenée, l'historien congolais Elikia M'Bokolo sert de fil conducteur. Il s'entretient avec les anciens, dépositaires de la mémoire orale des gens du Fleuve, il nous introduit à Bitumba ou à Basankusu, sur l'Equateur, des localités aussi misérables que voici un siècle.

Dans ce documentaire remarquable de force et de précision, tout est vrai, mais pas suffisant, car la conquête de l'Afrique par les grandes puissances n'est peut-être pas terminée. Espérons qu'il ne faudra pas attendre un siècle pour que soit réalisé un documentaire sur les millions de morts qu'ont entraînés les guerres et les prédations d'aujourd'hui...• « Le Roi blanc, le caoutchouc rouge, la mort noire », La Deux, 20 h 30. 08 avril 2004

© Rossel et Cie SA, Le Soir en ligne, Bruxelles, 2004