Léopold II, Baudouin et la commission Lumumba ©Rossel&cie

 

Le roi Baudouin, lors d'un message à la radio le 13janvier 1959, prit une initiative radicale pour une nouvelle politique au Congo. Ceci ne se fit pas à la requête du gouvernement, mais le Premier ministre Eyskens fut mis au courant au préalable.

Le roi a tourné en ridicule ses ministres en exprimant cette promesse d'indépendance d'une façon claire et directe avant que son gouvernement ne le fît. Par la suite, Baudouin confirmera maintes fois son appréciation pour Tshombe qui usurpait le pouvoir et manifesta son mépris vis-à-vis du Premier légitime du Congo, c'est-à-dire Lumumba. La classe politique, y compris la Cour, n'était pas désintéressée financièrement et économiquement au moment de la crise du Congo.

Si la commission Lumumba veut s'atteler d'une façon consciencieuse à cette tâche, elle devra s'interroger sur le rôle du roi Baudouin et de la Cour. Il est peu probable que la reine Fabiola rende accessibles les archives privées.

On pourrait contester le choix des 4 «experts» de la commission Lumumba. Jules Gérard-Libois est le seul spécialiste de l'Afrique, doté d'une connaissance approfondie des arrière-plans socio-politiques. Mais il a 76ans et il n'est pas tellement habitué aux archives. Les autres «experts» ne sont guère familiarisés avec les archives de l'Afrique, qualité essentielle requise pour pouvoir accomplir ce projet.

Il y a pourtant des experts comme le professeur J.L. Vellut (UCL) et les néerlandophones comme J. Marchal et le prof. Elikia M'Bokolo, un Congolais (Ephe, Paris). Non seulement il faut mettre en question la compétence des experts, mais il faut se demander si le personnage du professeur Luc De Vos (Ecole militaire et KUI), est irréprochable.

En août 1998, lors d'une conférence au Congrès international de l'histoire militaire à Lisbonne, il dit: «La situation matérielle des populations congolaises avant l'arrivée des Belges (dès 1885) était lamentable. La sous-alimentation était endémique et ôtait toute vitalité aux populations. Le manque de viande explique en partie le fait que beaucoup de tribus étaient cannibales.» Les références les plus récentes de cet exposé datent d'il y a 15ans. Nous n'avons ici pas la place pour prouver l'inexactitude de ce «cannibalisme». La plupart des tribus n'étaient pas anthropophages.

Il y avait parfois des sacrifices rituels accompagnés d'un repas symbolique, mais ceci n'a rien à voir avec l'exemple de De Vos. De Vos est sujet à caution quand il écrit: «Après une campagne diffamatoire orchestrée en grande partie par la presse anglaise, la Belgique a repris le Congo comme colonie en 1908.» Est-ce qu'il connaît en tant qu'historien ce qui s'est passé dans le Congo de Léopold II? L'Angleterre ne diffamait pas, on va le voir tantôt.

Comment les membres de la Commission Lumumba, non-experts de l'Afrique, interrogeront-ils les Congolais ou est-ce qu'ils vont se servir de l'expert ad hoc comme boy? La commission d'enquête constatera qu'un grand nombre des archives-Congo ne sont pas encore inventoriées, aussi bien aux Affaires étrangères que dans les Archives du royaume. Il ne faut pas imputer cela aux archivistes actuels, mais au manque de personnel. L'accessibilité de toutes les archives après 30, 50 ou 100ans n'est pas de règle en Belgique. Comparée aux autre pays occidentaux, la Belgique a la pire réputation à défendre. En plus il y a des documents-Congo dénigrants qui ont disparu des archives des Affaires étrangères!

Le rapport des 4 experts engagés ne sera authentique et scientifique si toutes les archives et les documents qu'ils ont consultés restent accessibles aux autres investigateurs. En effet, un travail qui ne peut être vérifié quant à sa valeur scientifique ne vaut rien. Il est évident que le rapport des experts avec toutes ses annexes devrait être publié dès que la commission parlementaire sera parvenue à ses conclusions.

Les membres de la commission ont évidemment remarqué que le télégramme crucial d'Aspremont Lynden ne fut pas cité littéralement dans le doctorat de Brassine mais qu'il l'a paraphrasé et interprété comme «éliminer politiquement». Ils se seront certainement aperçu de l'optique de ce doctorat qui tente de disculper la Belgique et la Cour.

La responsabilité de la Cour est grande. Le discours du roi Baudouin, le 30juin 1960, à l'occasion de l'indépendance du Congo, est aperçu par tous les commentateurs comme paternaliste. Mais il se passe manifestement beaucoup plus. Ce discours contenait de flagrants mensonges historiques et fut et est encore toujours offensant pour les Congolais. Les louanges que le roi chantait quant aux efforts de civilisation de son arrière-grand-oncle Léopold II étaient tout simplement déplacées. Lumumba, lors de son discours non annoncé, a énuméré, à la consternation de tous les Belges présents, les conséquences négatives de 80années de colonisation. Ceci ne faisait naturellement pas l'affaire du protocole. Il est inutile d'installer une commission d'enquête pour établir si des crimes contre l'humanité ont eu lieu dans le Congo de Léopold.

Cela se fit déjà en 1904 et les conclusions étaient accablantes. Les ouvrages de Vansina, Delathuy(1), Vangroenweghe(2), d'Elikia M'Bokolo et l'ouvrage vulgarisant de Hochschild le prouvent clairement. Même si l'on ne peut pas vraiment parler d'un génocide au sens technique, les conséquences de la récolte forcée du caoutchouc avaient le même effet pour les indigènes.

En 1901, Léopold II fit à la Belgique un don de biens immeubles. Une partie substantielle de cette Donation royale provint d'«une économie, qui fut nourrie par l'avidité d'un roi» (R.Doom). Cette Donation royale procure au roi actuel encore aujourd'hui annuellement une somme dont le montant s'élève à environ 100 millions. Cette donation comprend e.a. de grandes propriétés à Laeken, 400 hectares à Tervuren, 6.500 hectares de domaines à Ardenne, à Ciergnon et à Villers. Cette Donation royale est régie par le ministre des Finances.

Si le ministre Michel désire se profiler en Afrique centrale, il pourrait retourner 20% des revenus annuels de cette Donation royale au peuple congolais. Il pourrait aussi veiller à ce qu'on ne remette plus de décorations au nom de Léopold II. Recevoir de telles décorations est vraiment infliger une avanie aux Africains et aux Belges.

Apparemment la Belgique n'est pas encore prête à ou en mesure de tirer au clair son passé colonial et le rôle de la Cour. A titre d'exemple, les «salles historiques» d'une institution scientifique telle que le musée de l'Afrique donnent une fausse image de ce passé colonial belge.

R.VAN DEN WIJNGAERT, Africaniste, sciences humaines

D.VANGROENWEGHE, Africaniste, anthropologue

(1) Delathuy A.M. est le pseudonyme de Jules Marchal sous lequel il a écrit plusieurs ouvrages sur le Congo

(2) Vangroenweghe, Daniel, Du sang sur les lianes, Bruxelles, Didier Hatier, 1986

Note : à lire: "L'Assassinat de Lumumba" de Ludo De Witte, Paris, Éd.Karthala, 2000