Programme
Zoos humains € Mémoire coloniale

comité d'organisation :


ACHAC CNRS - GDR 2322

Association Connaissance de Anthropologie des représentations du corps
l'Histoire de l'Afrique Faculté de Médecine, Secteur centre
75, Avenue Gambetta 27 bld Jean Moulin
75 020 PARIS France 13385 Marseille Cedex 5
Tél : (33) 1 44 62 20 30 Tel : (33) 4.91.32.45.79
Fax : (33) 1 44 62 20 31 Fax : (33) 4.91.32.45.85

memoire.coloniale@achac.com gdrcorps@hotmail.com

Gilles Boëtsch (CNRS - Marseille)
Nicolas Bancel (Paris XII - Orsay)
Pascal Blanchard (Achac - Paris)
Sandrine Lemaire (Institut européen de Florence - Soissons)
Éric Deroo (Cinéaste - Paris)


Introduction

Au début du XIXe siècle, décédait à Paris une jeune femme, venue d¹Afrique, qui entrera dans l¹histoire sous le nom de la ³Vénus Hottentot². Avant d'accéder à cette célébrité équivoque, cette jeune adolescente, achetée aux confins de l'Afrique du Sud par un organisateur de spectacle anglais, avait vécu un long calvaire. Revendue à des forains français, montrée dans divers foires et spectacles, louée à quelques savants avides de nouveaux cobayes pour valider leurs thèses raciales en plein essor... son histoire ouvre le siècle des zoos humains. Sa mort en Europe, son cadavre avidement ausculté par les scientifiques, son histoire, si désespérément tragique nous replonge dans les ténèbres d'une histoire oubliée.
Aujourd'hui, dans les vitrines du Musée de l'Homme à Paris, le moulage de son corps si ³étrange³ et le retour de ses ossements dans son pays d'origine ‹ l'Afrique du Sud ‹ près de deux siècles après sa disparition, nous conduisent à ouvrir le dossier. Celui de ces nombreuses attractions scabreuses qui furent proposées aux Européens pendant plus d'un siècle et qui ont produit stéréotypes, clichés et les théories raciales qui marquent toujours notre rapport aux autres, en particulier aux Africains.
Fils des ténèbres et de Cham le maudit, l'Africain peuple nos imaginaires fantasmatiques depuis le Moyen Age. Voyages, explorations, traite négrière, expansion coloniale et mission anthropologique vont en faire un parfait sujet d'étude "en négatif". Après le temps du sauvage mis en esclavage viendra celui de l'indigène fidèle à la puissance coloniale, puis celui de l'immigré indésirable... En prétendant découvrir, montrer, et même aider l'Autre, on en a fait un monstre fruit de nos propres angoisses.

A partir de 1870, alors que la France se lance à la conquête de l'Afrique pour bâtir un immense empire, les exhibitions au jardin d'acclimatation, les spectacles exotiques, les foires-expositions coloniales et les ³villages sénégalais³ vont se multiplier. Ces véritables zoos humains, où l'³indigène³ croise au sein de l'enclos la bête sauvage, connaissent un succès sans cesse grandissant.
A la veille de la Première Guerre mondiale, chaque étape régionale recevait de 200.000 à 300.000 visiteurs. Pendant tout l¹entre-deux-guerres, c¹est par millions que les Français se rendront aux expositions coloniales, comme à Paris en 1931, dans le Bois de Vincennes, où 35 millions de visiteurs découvriront les populations de l¹EmpireŠ et les derniers cannibales des colonies françaises mis en scène au Jardin d¹Acclimatation. En fait, une centaine de Kanaks, venus de leur lointaine Nouvelle-Calédonie, dont une partie seront échangés contre des hippopotames avec un zoo allemandŠ et dont le plus célèbre est aujourd¹hui le grand-père de Christian Karembeu, le joueur de l¹équipe de France de football.

Avec ces spectacles largement répandus et diffusés sur de nombreux supports (presse, affiches, cartes postales, films, etc.) se met inexorablement en place une mécanique à désigner, à différencier et à rejeter. Elle se développe toujours selon trois axes majeurs : Montrer, Amuser, Mesurer.
€ Montrer : L'exotique est exhibé, l'après-midi, avec sa famille et les ³animaux³ de son pays, derrière les grilles d'un parc d'attractions, au sein d'un zoo ou d'une exposition locale. Le décor est reconstitué. Rien de manque. Très vite, la république colonisatrice, va intégrer ces populations ³indigènes² dans les grandes manifestations coloniales. A Marseille en 1922 ou à Paris en 1931, c'est par milliers qu'ils sont importés pour la mise en scène de la gloriole coloniale de la France. Ils rassuraient alors, par leur présence, les spectateurs sur leurs propres valeurs et vertus.
€ Distraire : Le soir, après une longue journée à jouer au sauvage, il fallait que ces représentants des "races inférieures³ dansent et chantent la ³pulsion noire² dans les plus grands Music-halls parisiens... en attendant, dans les années 30, Joséphine Baker, et, plus tard, Grace Jones. Les spectacles les plus délirants, sortis de l'imagination de managers sans scrupule, vont alors attirer des milliers de spectateurs avides de sensations fortes.
€ Mesurer : Le matin, tels des cobayes, enfin disponibles en métropole, ils sont confiés aux scientifiques, anthropologues et racialistes des plus grandes institutions d'alors. Quelle aubaine ! Eux qui ne pouvaient parcourir le monde pour étudier ces ³races attardées² et les étudier dans la quiétude de leur laboratoire, ils avaient enfin la possibilité d'aller à la recherche du chaînon manquant... entre l'homme et le singe en allant au Jardin d'acclimatation. A leur côté, dans un tout autre registre, les plus grands artistes du début du siècle découvrent ces populations, ces formes ³primitives³ et leur art. Un autre regard sur le monde prend ici naissance. Des ténèbres et de l'abject va naître la couleur et un art qui révolutionnera notre rapport à l'Autre.

C'est donc, selon une chronologie rigoureuse, à coup de clichés, d'images et de mise en scène organisées, planifiées et validées par tous (politiques, religieux, scientifiques, etc.) que s'est constituée cette vision de l'autre en Occident. Cette matière, insupportable, pleine d'ambiguïtés, de faux-semblants et de vrais drames est proprement cinématographique. Images et textes ont créé une fiction, une histoire à laquelle on croit encore et toujours. L'objet du programme que nous souhaitons initier, avec dans un premier une collecte des sources, et dans un second temps, un programme de recherche structuré en premier lieu par un colloque, est de mettre à jour cette matière, de la révéler, de l'expliciter, afin de décrire comment la peur et l'ignorance sécrètent des images, des mots, des attitudes qui reproduisent sans cesse les mêmes situations de racisme. Notre regard est-il différents aujourd'hui sur les banlieues de celui de nos grands-parents sur les indigènes des colonies au temps de l'exposition de 1931 ? Le message véhiculé, lors de la Coupe du monde, par les ³4 races³ défilant dans les rues de Paris est-il véritablement si différent de celui du jardin d'Acclimation un siècle plus tôt ? Les spectacles TV de plus en plus voyeuristes ne nous adressent-ils pas, en fait, les mêmes images, dans des contextes proches, de ceux des zoos humains ?

avril 1997


Le programme

En collaboration avec

IMA (l¹institut du Monde Arabe, Paris)
le monde Diplomatique

Daniel Mermet (France Inter)


Dans le cadre du programme "Zoos humains / Mémoires coloniales", organisé par l'ACHAC (Paris) et le GDR pluridisciplinaire CNRS Anthropologie des représentations corps (Marseille) en collaboration avec de nombreux médias (presse spécialisée et radio), en premier lieu le Monde Diplomatique, avec plusieurs partenaires universitaires et scientifiques internationaux et plusieurs institutions (musées, associations, unités de rechercheŠ), des instutions nationales (l¹IMA), nous proposons à différents intervenants scientifiques (et leurs unités de recherches, laboratoires et universités) de devenir un partenaire de ce programme en participants de façon ponctuelle au colloque de Marseille (juin 2001) et aux autres manifestations et publications par la suite.

La première phase de ce programme (qui aura lieu à Marseille les 8 et 9 juin 2001), strictement scientifique, sera évoquée de façon préliminaire dans ce document, sans pour autant entrer dans toutes les approches discursives de celui-ci, notamment la définition même du projet autour du concept de zoos humains ! Les éléments constitutifs de la seconde phase (à Paris à partir du quatrième trimestre 2001) sont présentés ci-après à travers les différents supports et séquences du programme. La troisième phase du programme correspond à l¹itinérance de celui-ci hors de France, ainsi qu¹aux divers supports d¹édition prévus et aux grands documents TV programmés (participation à plusieurs projets et réalisation-coproduction d¹un grand documentaire sur les zoos humains à la veille de la Grande Guerre en France).

L¹objet de ce programme est de recentrer l¹ensemble des actions grand public autour de l¹Institut du Monde Arabe au quatrième trimestre 2001 et de promouvoir largement la recherche entreprise lors du colloque de Marseille au sein du monde universitaire sous différents supports (édition, conférence, film, expositionŠ).


1. Le colloque de Marseille

Il apparaît, dans les recherches les plus récentes sur la question, que les ³zoos humains² (aussi appelés exhibitions ethnologiques ou villages indigènes) ont une valeur heuristique. Ils permettent de mettre en évidence les interactions entre le contexte historique ‹ caractérisé par une forte poussée de l'expansionnisme colonial (années 1880-1900) ‹, les avancées des sciences raciologiques qui les légitiment et la genèse d'un imaginaire différencialiste sur l'Autre composé de la mise en scène des ³sauvages², mais aussi de la naissance d'une propagande coloniale structurée en liaison avec une culture populaire qui vulgarise et socialise cet imaginaire.
Les zoos humains constituent la première rencontre effective de l¹autre, un autre fabriqué, naturalisé, mesuré, inventé par l¹OccidentŠ et pourtant bien réel. Non seulement les ³zoos humains² sont à l'articulation de ces trois dimensions (sciences de l¹homme, colonialisme et découverte de l¹Autre), mais de plus les travaux récents soulignent l'extraordinaire impact social, et sur les mentalités, de ces " spectacles " : ce sont, entre 1870 et 1940, des dizaines de millions de visiteurs qui ont été confrontés à la mise en scène de l'Autre. Dans ces lieux, entre autres, sont nés, entre autre, en Europe les mythes du ³bon sauvage² ou du ³nègre grand enfant², du ³fourbe arabe² ou des ³touaregs mystérieux², des ³inquiétants indochinois² ou ³pauvre amérindien²Š autant de clichés qui, un siècle plus tard, ont la vie dure.
Sans préjuger des résultats scientifiques du colloque représentant la première phase du programme, on peut saisir la rare qualité d'analyseur historique et anthropologique des zoos humains, lesquels concernent au premier chef l'ensemble des populations coloniales ‹ particulièrement du Maghreb mais aussi d'Afrique noire et d¹Asie ‹ durant la période concernée, mais dont les racines doivent également être cherchées dans les spectacles de " monstres ", mais aussi les reconstitutions folklorisantes de villages européens (Auvergnat, Breton, Suisse, Allemand, Irlandais...) ou orientaux (Japonais, Perse, Moyen-orientaux, Syrien-libanais, ChinoisŠ).

Les 8 et 9 juin, dans le cadre du GDR Anthropologie du corps (CNRS) est organisé un colloque international / table ronde scientifique sur le thème des zoos humains et leur impact sur le regard sur l¹autre en Occident, sous le titre : ZOOS HUMAINS : CORPS EXOTIQUES, CORPS ENFERMÉS, CORPS MESURÉS.
La ville de Marseille a été retenue pour une raison historique : hier capitale de l¹Empire français, port ouvert sur l¹Afrique du Nord et lieu de passage obligé des matières premières venues d¹Afrique, Marseille a été aussi la ville qui reçut la première grande exposition strictement coloniale en métropole au début du siècle (1906) en présentant notamment de nombreuses reconstitutions de villages " indigènes ".


2. Le programme à Paris

Cette seconde partie du programme -‹ ZOOS HUMAINS ET MEMOIRE COLONIALE -‹, vise explicitement à la fois à toucher un plus vaste public (et donc à diffuser les connaissances) mais aussi à aborder de front la question de la mémoire de la colonisation. Dans cet objectif, nous proposons à l'IMA un programme complet composé de deux axes.

Premier axe/une série de conférences d'octobre à décembre tous les mardis à partir de 18h30

Chaque conférence est organisée sur un principe de trinôme autour du thème proposé afin d¹être le plus possible en interaction avec la salle et le public des mardi de l¹IMA. Sur ce principe, on retrouvera dans une perspective de cohérence et de pertinence, une personnalité du comité scientifique du programme entouré d¹un invité universitaire spécialiste de la question et d¹une personnalité (écrivain, journaliste, homme de média, réalisateur de filmŠ) dont le travail ou les réflexions sont proches du thème.

Second axe/ Une grande rencontre-débat avec le public / forum le 1er décembre à partir de 9h30

Point d'orgue de ce programme, nous proposons d'organiser un débat public entre plusieurs scientifiques issus du colloque et du programme et 10/12 personnalités afin de mettre en lumière les enjeux contemporains de la mémoire coloniale à partir de la symbolique issue des zoos humains.
Pour conclure les débats, après 2h30 d¹interventions et d¹échanges avec la salle, des documents originaux d¹époque seront proposés au public

En conclusion

Conscients de la richesse du sujet, de l¹importance et surtout de la complexité de cette approche pour mieux comprendre certains phénomènes contemporains autour des difficultés à appréhender l¹altérité et les stéréotypes nationaux, nous avons imaginé un prolongement logique aux deux premières phases du programme. Ainsi, conçu comme un tout cohérent, qui laisse parallèlement le temps pour chacun de mûrir sa réflexion sur cette thématique, la troisième phase du programme se pose comme un aboutissement dont la publication des actes du premier colloque constitue la première étape.
voir détails ci-après


BILAN du colloque de Marseille

Les Chercheurs présents

ARDAGNA Yann
BANCEL Nicolas
BERGOUGNIOU Jean-Michel
BLANCHARD Pascal
BOETSCH Gilles
BULLARD Alice
BRÄNDLE Rea
CHALLAYE Sylvie
CHEVE Dominique
CHEYLAN Gilles
CHIARELLI Cosimo
CLAUDOT-HAWAD Hélène
COOMBES Annie
CORBEY Raymond
DAUPHINE Joël
DAVID Philippe


DUBOIS Jacqueline

DENIS Daniel
DEROO Eric
DUPUIS Annie
ERNST Raphaëlle
FERRIE Jean-Noël
GARRIGUES Emmanuel
GIOCANTI Dominique
HARDOUIN-FUGIER Elisabeth
HENRY J. Robert
HODEIR-GARCIN Catherine
JACQUEMIN Jean-Pierre
LEBOVICS Herman
LEMAIRE Sandrine
LÉVY Gérard
LIOTARD Philippe
LUSEBRINCK Hans
MANCERON Gilles
MARTIN Peter
MINDER Patrick
NORINDR Panivong
RYDELL Robert
SERVAN-SCHREIBER Catherine
SIROST Olivier
STAEHELIN Balthasar
STURANI Enrico
THODE-ARORA Hilke
VERGÈS Françoise
ZABBAL François


Programme des demi-journées

Vendredi 8 Juin
Matinée 9h30 o 10h00

Ouverture du colloque et présentation des intervenants


Vendredi 8 Juin
Matinée 10h00 o 13h00

Thèmes 1 : enfermer

GENESE ET NATURE DES ZOOS HUMAINS :
ESSAI DE DEFINITION

Sous la responsabilité de Pascal Blanchard et Herman Lebovics
pause à 11h30/11h45


Vendredi 8 Juin
Après-midi 14h30 o 18h30

Thèmes 2 : mesurer

LES SCIENCES ANTHROPOLOGIQUES ET ETHNOLOGIQUES
AU MIROIR DES ZOOS HUMAINS :
LA RACE INVENTEEŠ

Sous la responsabilité de Gilles Boetsch et Françoise Vergès
pause à 16h00/16h30 et/ou :


Projection de film de 16h00 à 16h30 :
les premiers " zoos humains " à l¹écran (inédits)


Samedi 9 Juin
Matinée 9h00 o 12h30

Thème n°3 : montrer

SPECIFICITES ET PARTICULARISMES NATIONAUX :
PARIS, SAINT-LOUIS, LONDRES, NEW YORK, HAMBOURG, BALEŠ

Sous la responsabilité de Sandrine Lemaire et Jan Nederveen Pieterse
pause à 11h15/11h30


Samedi 9 Juin
Après-midi 14h00 o 17h30

Thèmes 4 : distraire

MISE EN SCENE DE L'AUTRE, SPECTACLES ET REPRESENTATIONS :
LES FONDEMENTS D'UN IMAGINAIREŠ

Sous la responsabilité de Nicolas Bancel et Robert Rydell
pause à 15h45/16h00


Samedi 9 Juin

17h30 o 17h45

Conclusion et synthèse : Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire


bilan des deux journées

Le comité d'organisation ACHAC-GDR 2322 CNRS du programme Zoos humains. Mémoire coloniale vous informe du bilan et de la suite du programme, à l'issue des deux journées de rencontre de Marseille les 8 et 9 juin derniers. A travers la présente lettre, nous souhaitons aussi renouveler notre invitation à tous ceux qui, pour des raisons diverses et personnelles, n'ont pu assister à cette première étape, mais aussi à ceux que nous n'avons pu contacter jusqu'à présent, qui souhaiteraient contribuer et participer aux prochains événements programmés jusqu'en septembre 2003. Nous pouvons dire que la rencontre de Marseille 2001 s'est soldée par une véritable synergie scientifique. Le prolongement de discussions animées en dehors de l'enceinte du colloque en est sans doute l'un des témoignages les plus vivants. Cependant, nous ne désirons pas nous attarder dans une posture d'autosatisfaction, et plutôt souligner les faiblesses (sans doute consubstantielles au genre) afin de préparer au mieux la prochaine étape du programme.

En effet, quelques thématiques importantes ou aires géographiques n'ont pas, ou que très peu, été abordées telles que :

? l'influence et l'importance des Barnum et Freaks aux Etats-Unis.
? le lien existant entre ethnologie/anthropologie, les cabinets de curiosité, les musée anatomiques et le phénomène des Zoos humains. Plusieurs questions restent, de ce point de vue, sans réponses : quid de l'influence des "spécimens humains" importés via les zoos sur la construction de la raciologie en Europe ? Comment s'opère et quelles fonctions remplit la double légitimation du scientifique et de l'engouement populaire ? Elaboration au sein de ces mêmes exhibitions d'un discours racial spécifique et lequel ?
? le lien de notre thème avec la création des jardins zoologiques, jardins d'acclimatation et les zoos en général n'a été qu'entrevu.
? l'appréhension plus précise de ce phénomène en Grande-Bretagne mériterait d'amples développements, dans une métropole qui est alors considérée comme la plus puissante d'Europe avec son Empire.
? certains pays ont été sous traités : Italie, Espagne, Portugal. D'autres ont été absents de nos réflexions, comme les pays de l'Est, l'Australie, les pays nordiques, l'ensemble de l'Asie, l'Afrique du Sud, le Moyen-Orient. On ne peut certes tout analyser en deux jours, mais les extensions et les limites géographiques du phénomène méritent également un examen approfondi.
? les villages nationaux ou régionaux, miroir d'une "altérité proche", ont également été négligés. Il semble pourtant que la comparaison de ces manifestations avec les zoos humains permettrait de circonscrire plus précisément le statut de l'Autre alors en formation en Occident.
? La conception et l'organisation des expositions coloniales, avec leur univers consacré aux populations autres est également à développer en profondeur, notamment dans leurs particularismes nationaux et dans leur temporalité.
? le tourisme exotique actuel et ses extensions et, d'une manière générale, les formes post-coloniales identifiables des zoos humains (dans les médias ou dans les pratiques de reproduction, à limage du village Massaï qui vient d'ouvrir en Belgique).
? l'impact général de ces exhibitions ethnologiques sur les visiteurs et leur réception par le public restent également un thème encore largement inexploré.

Toutefois, malgré ces thèmes insuffisamment traités, nous pouvons sans conteste établir un bilan (en trois axes) révélant plusieurs points positifs, témoins de la réussite de cette rencontre, première étape d'un programme plus vaste, mais aussi se montrer satisfait du principe d'interventions retenu à Marseille, que nous reprendrons pour les prochaines rencontres.

Les trois axes essentiels de ce bilan :

Tout d'abord, les débats générés par le colloque ont finalement abouti à trois types de points de vue, divisant les participants, quant au concept de Zoo Humain que nous avions choisi pour appréhender le phénomène :
? le premier réunit ceux qui ont validé ce titre et concept comme point de cristallisation (entre les champs scientifique, populaire, la spectacularisation de l'Autre, son statut dans l'imaginaire, etc.) d'un phénomène plus général permettant des discussions nourries sur cet aspect de l'histoire occidentale.
? le second remet en cause l'expression Zoo Humain en notant la nécessité de bien mettre en avant à la fois les particularismes nationaux, régionaux et les évolutions chronologiques qui, à certains moments de l'histoire de chacun des pays abordés, engendrent des modifications non négligeables du concept initial.
? le troisième regroupe ceux qui se refusent à utiliser ce concept quelque soit la période, le pays ou les mises en scène avérées de ces exhibitions en les percevant davantage comme des lieux de rencontre.
Ces trois tendances nous permettent de penser que, quelles que soient les positions prises, cette métaphore du phénomène en général incarnée par l'expression Zoo Humain est opérante pour l'ensemble des recherches que nous avons lancées à Marseille et qui se poursuivront durant les deux années qui viennent, tout en réfléchissant, en parallèle, à plusieurs types de concept spécifique pour chaque particularisme (comme Villages indigènes (ou exotiques / noirs / nègres), exhibitions ethnographiques, expositions coloniales, musées anatomiques).

Autre élément de réussite, le caractère interdisciplinaire (historiens, anthropologues, juristes, chercheurs, enseignants, etc.) du colloque a été très enrichissant et a permis de soulever nombre de questions, chacun apportant ses connaissances spécifiques et des paradigmes interprétatifs originaux (un principe à développer pour les prochaines rencontres).

Enfin, le caractère international de la rencontre qui a permis de réunir sur un territoire commun des chercheurs d'horizons géographiques très divers est, lui aussi, un point dont nous pouvons être satisfait.

Aussi, ce bilan qui soulève à la fois les faiblesses et les points forts de cette première étape du programme, nous conduit à vous informer davantage sur la suite que nous allons lui donner, à la fois, pour le second semestre 2001, mais aussi pour les deux prochaines années.

Le programme à partir de septembre 2001


Second trimestre 2001 (à Paris)


Un ouvrage collectif

aux éditions La Découverte, la date prévue de parution étant mars 2002.
Sans pouvoir publier l'intégralité des approches et des intervenants présents à Marseille, nous avons retenu un certain nombre d'axes que nous jugeons essentiels pour une première synthèse, regroupant une quarantaine de communication, relativement courtes de l'ordre de 20 000 signes chacune. Un second ouvrage prévu dans deux ans 1/2 (après le dernier colloque) sera, quant à lui, un livre référence (en plusieurs volumes) destiné à clore le programme.


Un cycle de conférences

Un cycle de conférence, afin de transmettre au grand public nos travaux et réflexions est prévu, à Paris, à la rentrée.
Celui-ci à pour objet, puisque le colloque de Marseille était fermé de sensibiliser à ce programme des publics spécifiques, chaque conférence-débat rassemblant 200 personnes.
Ce cycle de conférences se tiendra à l'Institut du Monde Arabe, tous les mardis (de 18h30 à 20h30), du 23 octobre au 18 décembre 2001.
Avec nos partenaires, l'Institut du Monde Arabe et Le Monde Diplomatique, nous avons programmé 8 conférences, qui seront, à l'issue de ce cycle, publiées pour l'été 2002 aux éditions Albin Michel sous le titre Mémoires coloniales :

liste et intervenants définitifs les 15 septembre

23 octobre 2001 : A l'origine des stéréotypes sur l'autre
30 octobre 2001 : Genèse de la mise en scène de l'Autre
13 novembre 2001 : Les grandes expositions coloniales
20 novembre 2001 : La racialisation des sciences de l'homme
27 novembre 2001 : Propagande et imaginaire colonial
4 décembre 2001 : Colonisation et immigration
11 décembre 2001 : Enjeux contemporains de la mémoire coloniale
18 décembre 2001 : De l'autre côté du miroir


Un Forum / Débat

Le 1er décembre 2001 de 9h30 à 13h45 nous organisons (avec le concours de l'IMA, du Monde Diplomatique, et de Daniel Mermet de France Inter) un forum / débat avec une dizaine d'intervenants de champs différents (politique, écrivain, historiens, journalistes, etc.) et des universitaires/chercheurs, en interaction avec le public (450 places dans le grand auditorium). Le thème retenu pour cette rencontre : Les enjeux de la mémoire coloniale. Des zoos humains aux banlieues.
liste et intervenants définitifs les 15 septembre
En ouverture de ce forum / débat, un film de 7 à 8 minutes reprendra des interventions du colloque des 8 et 9 juin à Marseille (une synthèse de celui-ci), afin de bien situer le champ de nos discussions (réalisation Eric Deroo). Une dizaine de films inédits seront proposés à cette occasion.

Seconde partie du programme
2002


La première étape de notre programme, dans sa conception de Marseille, a été riche d'enseignements et le concept d'un colloque ouvert à la discussion et au débat plutôt qu'à l'exposé de connaissance a été approuvé par la grande majorité d'entre vous. Aussi, nous souhaitons renouveler la formule pour les prochaines rencontres prévues.

Deux colloques sont au programme, comme nous vous l'avions suggéré à Marseille, l'un pour septembre 2002, l'autre pour le dernier trimestre 2003.

Second colloque international

Septembre 2002 en Allemagne[1]

3 jours de colloque pour traiter des thèmes suivants :

Aux origines des Zoos humains (XIXe siècle)
Le rôle du phénomène colonial (population, exposition, idéologie)
Les stéréotypes engendrés par ces exhibitions (Europe, Amérique)
L'extension du phénomène (Asie, Etats-Unis, Japon, pays de l'Est)


La liste des participants pour ce prochain colloque sera close le 15 décembre 2001, aussi nous vous demandons de prendre contact (par Mail ou par Fax) avec notre équipe d'organisation pour votre inscription et de communiquer cette information aux chercheurs de votre réseau qui peuvent être intéressés par cette thématique afin qu'ils puissent intégrer le programme. Cette méthode nous permettra d'éviter d'oublier certains chercheurs et spécialistes travaillant sur le sujet. Nous vous remercions, par avance, de cette collaboration et de bien vouloir faire circuler cette information.

L'envoi des dossiers, par les participants, pour ce colloque (sur un principe similaire à celui de Marseille, mais cette fois-ci sur une thématique précise retenue par chaque intervenants, sous la forme d'un texte ou de documents) devra cette être effectué avant le 15 juin 2002 au plus tard (par mail) afin que chacun des intervenants ait pu avoir connaissance, au cours de l'été 2002 (15 juillet 2002), des informations délivrées par les autres intervenants et enrichir ainsi le débat (beaucoup d'entre vous nous ont fait cette demande pour mieux préparer ce type de rencontre). En même temps, nous vous proposerons de réactualiser vos fiches descriptives respectives au mois de mai 2002.

Le point de départ de ces trois journées sera l'ouvrage édité à La Découverte (critiques, réactions à celui-ci et perspectives), et nous nous proposons de rassembler pour ce second colloque un nombre maximum de 70 chercheurs et intervenants. Celui-ci, à la différence de Marseille, sera en partie ouvert au public, mais sans débat spécifique, ni questions envisagées, avec celui-ci.

Nous souhaitons, à l'occasion de cette seconde rencontre entre tous les participants, consacrer une demi-journée de réflexion pour établir un Comité Scientifique (ouvert à ceux qui le souhaitent) destiné à la conception de l'EXPOSITION et du CATALOGUE Zoos Humains qui sera présentée par la suite itinérante en Europe et aux Etats-Unis.

Troisième partie du programme
2003

Troisième colloque international


Dernier trimestre 2003 aux États-Unis[2]

Présentation de l'exposition et du catalogue
5 jours de colloque pour traiter des thèmes suivants :

le lien entre Zoos humains et racisme
le lien entre Zoos humains et les sciences
le lien entre Zoos humains et le cinéma
la spectacularisation du phénomène à travers les Freaks
l'importance des images dans la popularisation de ces spectacles ethnologiques
l'identité nationale et la construction des États à travers ces exhibitions/expositions


Ce dernier colloque sera structuré sur les mêmes principes que précédemment et clôturera le programme de rencontres/colloques. Il sera suivi d'une publication faisant le bilan des deux derniers colloques (Allemagne et Etats-Unis) et de l'ensemble du programme. Cette dernière rencontre sera l'occasion de présenter, simultanément, l'exposition Zoos humains, qui aura été conçue précédemment en Allemagne, ainsi que le catalogue qui l'accompagne.

notes du texte-bilan

[1] Au cours de cet été, nous prendrons contact avec différents partenaires, afin d'envisager les différentes modalités et potentialités d'accueil. Le Comité d'organisation est à votre écoute pour toute proposition en ce sens ou pour des partenariats spécifiques dans les différents pays envisagés.
[2] Au cours du second colloque, nous prendrons contact avec différents partenaires et les différentes équipes de recherches, afin d'envisager les différentes modalités et potentialités d'organisation pour cette dernière étape. Néanmoins dès aujourd'hui, nous prenons contact avec des équipes américaines pour la préparation de ce troisième colloque.

Summary colloque juin 2001
We would like, first, to thank all the participants for their presence and the
quality of their works. Moreover, we would like to renew our invitation to the
persons who, for any reasons, have not been able to attend the first seminar, and
also to the persons we couldnt get in touch with, wishing to participate to our next meetings, which will be held on severals dates until September 2003.
Here are the three essential axes of the colloquium :
First of all, we came up with three types of point of views regarding the Human
Zoo concept, chosen to centre the matter. These three trends give us elements
to think that, whatever the positions we take, this metaphor Human Zoo
can be effective for any kind of research. Another interesting point, is the
interdisciplinary feature of the seminar, which was, for all of us, very enriching.
Finally, the international cha racter of the meeting, which allowed us to gather
researchers from different parts of the world, was also a positive aspect.
After the series of conferences which will be held, in Paris, from the 23rd October until the 18th December 2001, the forum scheduled for the 1st december 2001 and the publication of the book planned for March 2002, the first step of our scientific program, will be held in
September 2002, and the following one in the last quarter of year 2003.
September 2002 in Germany (a 3 day conference on the following themes):
On the origins of human Zoos (XIX century); The role of the colonial phenomenon (population, exposition, ideology); Stereotypes arising from such behaviour (Europe, America); The extension of the phenomenon (Asia, United States, Japan, Eastern countries).
The list of participants for this next conference closes on 15 December 2001. To register, please contact our conference organisation team (by e-mail or fax). For further specific information, contact Sandrine Lemaire (in English) on (33) 3 23 73 20 32 or (33) 6 15 08 48 69, or by e-mail at lems@wanadoo.fr.
For this conference participants must submit papers before 15 June 2002 at the latest, by e-mail (on a similar principle the Marseilles conference, only this time each speaker is to have his/ her own particular topic, and in the form of text or documents) so that each of the speakers can familiarise themselves with them during the summer of 2002.
Final term 2003 in the United States (a 5 day conference on the following themes):
The link between human Zoos and racism; the link between human Zoos and the sciences; the link between human Zoos and the cinema; the dramatic demonstration of the phenomenon through the Freaks; the importance of images in the popularisation of such ethnological demonstrations; national identity and the building of States through such exhibitions/behaviours.

Descriptif provisoire de l'ouvrage (éditions la découverte)
sous réserve de modifications

Titre :
Zoos Humains
Mémoire coloniale
Sous la direction de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boëtsch, Sandrine Lemaire et Éric Deroo


Editions La Découverte (Paris), 514 pages


Introduction générale


Partie I : Généalogies / La fascination pour le sauvage et l'étrange
A la recherche de l'Autre

I.1 Le frisson sauvage : les zoos comme symboles de la domestication ? E. Hardouin-Fugier et E. Baratay
I.2 Monstres et galeries de phénomènes : le cas américain. R. Bogdan
I.3 De la Vénus Hottentote aux spécimens humains. A. Langaney
I.4 L'invention de la "race" : de la science au spectacle. R. Schneider
I.5 Images et anthropologie au XIXe siècle. F. Spencer
I.6 Hagenbeck et les tournées européennes : l'invention du zoo humain. H. Thode-Arora
I.7 Le Jardin zoologique d'Acclimatation ou l'inauguration d'un processus. I. Gala
I.8 Les grandes expositions et la mise en scène de l'Autre. R. Ernst et H.-J. Lusebrinck

Partie II : Hiérarchies / Races exhibées, Êtres spectaculaires

L'invention de l'Autre


II.1 Les aborigènes : premiers sauvages, dernière race. R. Poignant
II.2 Khoisans, entre science et distraction. F.-X. Fauvelle
II.3 L'Indochinois à la rencontre de l'Occident : du village à l'exposition. A. Ruscio
II.4 : Les Touaregs, Arabes et Orientaux en Occident. H. Claudot, J.-N. Ferrié et G. Boëtsch
II.5 Les sauvages aux Amériques. H. Lebovics
II.6 Images et mise en spectacle du noir en Europe. J. Nederveen Pieterse
II.7 Les Kanaks au miroir de l'Occident. J. Dauphiné et A. Bullard
II.8 L'Inde et l'Asie inventées : mirages et autres mises en scène. C. Servan-Schreiber et H. Chambert-Loir
II.9 Villages nationaux, villages régionaux : construire les nations (Grande-Bretagne et France). A. G. Hargreaves


Partie III : déclinaisons / Le miroir de l'Occident
Les théâtres de laltérité

III.1 Expositions et villages : le cas français. E. Garrigues
III.2 Les spectacles impériaux en Grande-Bretagne. J. Mackenzie
III.3 Les villages noirs dans les expositions internationales aux Etats-Unis. R. Rydell
III.4 La monstration de l'Autre en Allemagne et en Suisse. R. Brändle et P. Martin
III.5 Zoos humains, villages nègres et exhibitions en Espagne et au Portugal. L. Delgado
III.6 Exhibitions ethnographiques en Italie. S. Palma et C. Chaiarelli
III.7 Noirs, sauvages et autres Africains en Grande-Bretagne. B. Lindfors
III.8 Villages noirs : zoos humains ou rencontre avec l'Autre ? P. David et J.-M. Bergougnioux
III.9 Les Congolais dans la Belgique impériale et en Hollande. J.-P. Jacquemin
III.10 La construction du colonisé dans une métropole (la Suisse) sans Empire. P. Minder
III.11 Autres exotiques : le Japon entre deux mondes. E. Handy


Partie IV : Diffusions / Le déploiement dans les cultures

Images et imaginaires


IV.1 Théâtre et cabarets. S. Challaye
IV.2 La photographie et l'Autre. E. Edwards
IV.3 Les grandes expositions coloniales en Europe depuis 1900. S. Lemaire
IV.4 Le cinéma de fiction dans la construction du regard sur l'Autre. E. Deroo et P. Norindr
IV.5 Cinéma ethnologique, des zoos humains sur pellicule ? P. Bloom
IV.6 A la recherche du sensationnel : presse et popularisation des stéréotypes. P. Greenhalgh
IV.7 Carte postale, entre racialisme et exotisme. C. M. Geary
IV.8 Affiches, promotion et publicité. Vendre et fasciner ! N. Bancel, P. Blanchard et S. Lemaire
IV.9 Des zoos aux musées : réinventer l'ailleurs. J. Jamin
IV.10 Surréalisme, cubisme et fascinations. A. Baldassari
IV.11 Le temps des Freaks. R. Garland


Partie V : Perspectives / Corps, normes et identités
Des zoos humains aux zoos virtuels

V.1 L'éternel retour du sauvage ? G. Boëtsch
V.2 Du zoo aux stades ? P. Liotard
V.3 Une nouvelle frontière entre le normal et le pathologique ? R. Corbey
V.4 Le corps de l'Autre : fascinante répulsion ? N. Bancel
V.5 Du zoo humain aux droits de l'Homme : le paradoxe républicain français ? G. Manceron
V.6 Du zoo à l'exotisme touristique : des îles pour rêver ? F. Vergès
V.7 Du zoo aux médias : l'éternel spectacle de la différence ? P. Blanchard

Conclusion : Zoos humains, concept scientifique, énoncé sociologique ou provocation médiatique ?

Bibliographie générale (500 titres prévus au total)
Présentation des auteurs (45 notices auteurs)
Table des matières


Comité d'organisation (contacts) :


Coordination scientifique / colloque marseille (informations) :
Gilles BOËTSCH ((33 6) / (06) 16 97 73 65 Gilles.Boetsch@medecine.univ-mrs.fr <mailto:Gilles.Boetsch@medecine.univ-mrs.fr> )

Coordination scientifique / forum 1er décembre / Exposition :

Pascal BLANCHARD (33 6) / (06) 70 27 47 97 blanchard@achac.com <mailto:blanchard@achac.com> )

Coordination cycle conférences / colloques 2002-2003 :

Sandrine LEMAIRE (33 6) / (06) 15 08 48 69 lems@wanadoo.fr <mailto:lems@wanadoo.fr> )

Coordination édition/publication :

Nicolas BANCEL (33 6) / (06) 87 44 05 71 nicolas.bancel@staps.u-psud.fr <mailto:nicolas.bancel@staps.u-psud.fr> )

Coordination audiovisuelle :

Eric DEROO (33 6) / (06) 07 02 32 79 er.o@libertysurf.fr <mailto:er.o@libertysurf.fr> )

Pour information
article du Monde diplomatique
Les zoos humains de la République coloniale
été 2000
Par Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire


La question pourrait être : comment cela a-t-il été possible ? Et est-on capable de prendre la mesure de ce que révèlent les "zoos humains" de notre culture, de nos mentalités, de notre inconscient et de notre psychisme collectif? Double question, double enjeu en vérité, alors que s'ouvre enfin, au c¦ur du temple des arts - le Louvre -, la première grande exposition "médiatique" sur les arts premiers. Ces attractions, expositions ethnologiques ou villages nègres restent des sujets complexes à aborder pour un pays, une République et une culture, qui met en exergue l¹égalité de tous les êtres humains. De fait, ces zoos où des "exotiques" mêlés à des bêtes sauvages, sont montrés en spectacle derrière des grilles ou des enclos à un public avide de distraction, sont la preuve la plus évidente du décalage existant entre discours et pratique au temps de l'édification de l'Empire colonial français. Notre conscience collective a oublié ces lieux de mémoire où, hier, se sont pressés des millions de Français, car ils nous rappellent sans cesse que notre rapport à l'autre n'est qu'une longue suite de construction de nos imaginaires.
L¹apparition, puis l¹essor de la mode pour ces zoos humains, ressort de l¹articulation entre trois processus concomitants: d¹une part, la construction d¹un imaginaire social sur l¹Autre (colonisé ou non), d¹autre part la théorisation scientifique de la "hiérarchie des races" dans le sillage des avancées de l¹anthropologie physique et enfin l'édification d'un empire colonial alors en pleine construction.

L¹idée de promouvoir un spectacle zoologique mettant en scène des populations exotiques apparaît en parallèle dans plusieurs pays européens au cours des années 1870. En Allemagne, tout d'abord, où dès 1874 Karl Hagenbeck, revendeur d¹animaux sauvages et futur promoteur des principaux zoos européens, décide d'exhiber des Samoa et des Lapons comme populations "purement naturelles" auprès des visiteurs avides de "sensations". Le succès de ces premières exhibitions le conduisent dès 1876 à envoyer un de ses collaborateurs au Soudan égyptien dans le but de ramener des animaux et des Nubiens pour renouveler l'"attraction". Ces derniers connurent un succès immédiat dans toute l'Europe, puisqu¹ils furent présentés successivement dans diverses capitales comme Paris, Londres ou Berlin.

Une telle réussite a sans aucun doute influencé Geoffroy de Saint-Hilaire, directeur du Jardin d¹acclimatation, qui cherche des attractions à même de redresser la situation financière délicate de l¹établissement. Il décide d'organiser, en 1877, deux "spectacles ethnologiques", en présentant des Nubiens et des Esquimaux aux Parisiens. Le succès est foudroyant. La fréquentation du Jardin double et atteint cette année-là, le million d'entrées payantes. Les Parisiens accourent pour découvrir ce que la grande presse qualifie alors de "bande d¹animaux exotiques, accompagnés par des individus non moins singuliers". Entre 1877 et 1912, une trentaine d¹"exhibitions ethnologiques" de ce type vont être ainsi produites au Jardin zoologique d'acclimatation, avec un constant succès.
De nombreux autres lieux vont rapidement promouvoir de tels "spectacles " ou les adapter à des fins plus "politiques", à l'image des expositions universelles parisiennes de 1878, 1889 -- un "village nègre" et 400 figurants "indigènes" en constituent l'une des attractions majeures - et celle de 1900 avec ses 50 millions de visiteurs et le célèbre Diorama "vivant" sur Madagascar ou, plus tard, les expositions coloniales, comme Marseille en 1906 et 1922, mais aussi Paris en 1907 et 1931. Des lieux se spécialisent dans le "ludique" comme les représentations programmées au Champ de Mars, aux Folies-Bergères ou à Magic City, et dans la reconstitution coloniale, avec par exemple, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, la reconstitution de la défaite des Dahoméens de Behanzin devant l'armée française.


Pour répondre à une demande plus "commerciale" et à l'appel de la province, les foires et expositions régionales deviennent très vite les lieux de promotion par excellence de ces exhibitions. C'est dans cette dynamique que se structurent, très rapidement, les " troupes " itinérantes - passant d'une exposition à une foire régionale -, et que se popularisent les célèbres "villages noirs" (ou "villages sénégalais"), comme lors de l'exposition de Lyon en 1894. Il n'est dès lors pas une ville, pas une exposition et pas un Français qui ne découvrent, à l'occasion d'un après-midi ensoleillé, une reconstitution "à l'identique" de ses contrées sauvages, peuplées d'hommes et d'animaux exotiques, entre un concours agricole, la messe dominicale et la promenade sur le lac.
C'est alors par millions que les Français, de 1877 au début des années 30, vont à la rencontre de l¹Autre. Un autre mis en scène et en cage, qu'il soit peuple "étrange" venu des quatre coins du monde ou indigène de l'Empire, il constitue pour la grande majorité des métropolitains, le premier contact avec l'altérité. L¹impact social de ces spectacles dans la construction de l¹image de l¹Autre est immense. D¹autant qu¹ils se combinent alors avec une propagande coloniale omniprésente (par l'image et par le texte) qui imprègne profondément l¹imaginaire des Français. Pourtant, ces zoos humains demeurent absents de notre mémoire collective.

Collecter, scruter, mesurer, promouvoirŠ la différence


Bien avant la grande expansion coloniale de la IIIe République des années 1870-1910, qui s¹achève par le tracé définitif des frontières de l¹Empire Outre-mer, s'affirme en métropole une passion pour l¹exotisme et, en même temps, se construit un discours sur les " races " dites inférieures au croisement de plusieurs sciences. Certes, la construction de l¹identité de toute civilisation se bâtit toujours sur des représentations de l¹autre, qui permet ­ par effet de miroir ­ d¹élaborer une auto-représentation, de se situer dans le monde. En ce qui concerne l¹Occident, on peut déceler les premières manifestations de cela dans l¹Antiquité (la catégorisation du "barbare", du "métèque" et du citoyen), idée à nouveau portée par l¹Europe des Croisades, puis lors de la première phase d¹explorations et de conquêtes coloniales des XVIe-XVIIe siècles. Mais, jusqu¹au XIXe siècle, ces représentations de l¹altérité ne sont qu¹incidentes, pas forcément négatives et ne semblent pas pénétrer profondément dans le corps social.
Avec l'établissement des empires coloniaux, la puissance des représentations de l¹autre s¹impose dans un contexte politique fort différent et dans un mouvement d'expansion historique d¹une ampleur inédite. Le tournant fondamental reste la colonisation car elle impose la nécessité de dominer l¹autre, de le domestiquer et donc de le représenter. Aux images ambivalentes du "sauvage", marquées par une altérité négative mais aussi par les réminiscences du mythe du "bon sauvage" rousseauiste, se substitue une vision nettement stigmatisante des populations "exotiques". La mécanique coloniale d'infériorisation de l'indigène par l'image se met alors en marche et, dans une telle conquête des imaginaires européens, les zoos humains constituent sans aucun doute le rouage le plus vicié de la construction des paradigmes sur les populations colonisées. La preuve est là, sous nos yeux ; ils sont des sauvages, vivent comme des sauvages et pensent comme des sauvages. Ironie de l'histoire, ces troupes qui traversaient l'Europe (et même l'Atlantique), restaient bien souvent 10 ou 15 ans hors de leurs pays d'origine et acceptaient cette mise en scèneŠ contre rémunération. Tel est l'envers du décor de la sauvagerie mise au zoo, pour les organisateurs de ces exhibitions, le sauvage au tournant du siècle demande un salaire !
En parallèle, un racisme populaire se déploie dans la grande presse et dans l'opinion publique, comme toile de fond de la conquête coloniale. Tous les grands médias, des journaux illustrés les plus populaires ‹ comme Le Petit Parisien ou Le Petit Journal -, aux publications à caractère " scientifique " ‹ à l¹image de La Nature ou La Science amusante -, en passant par les revues de voyages et d¹exploration ‹ comme Le Tour du Monde ou le Journal des Voyages ‹, présentent les populations exotiques ‹ et tout particulièrement celles soumises à la conquête ‹ comme des vestiges des premiers états de l¹humanité. Le vocabulaire de stigmatisation de la sauvagerie ­ bestialité, goût du sang, fétichisme obscurantiste, bêtise atavique ­ est renforcé par une production iconographique d¹une violence inouïe, accréditant l¹idée d¹une sous-humanité stagnante, humanité des confins coloniaux, à la frontière de l¹humanité et de l¹animalité .
Simultanément, l¹infériorisation des "exotiques" est confortée par la triple articulation du positivisme, de l¹évolutionnisme et du racisme. Les membres de la société d¹anthropologie ‹ créée en 1859 à la même date que le Jardin d¹acclimatation ‹ se sont rendus plusieurs fois à ces exhibitions grand public pour effectuer leurs recherches orientées vers l¹anthropologie physique. Cette science obsédée par les différences entre les peuples et l¹établissement de hiérarchies donnait à la notion de "race" un caractère prédominant dans les schémas d¹explication de la diversité humaine. On assiste à travers les zoos humains à la mise en scène de la construction d¹une classification en "races" humaines et de l¹élaboration d¹une échelle unilinéaire permettant de les hiérarchiser du haut en bas de l¹échelle évolutionniste.

Ainsi, Gobineau par son Essai sur l¹inégalité des races humaines (1853-1855) avait établi l¹inégalité originelle des races en créant une typologie sur des critères de hiérarchisation largement subjectifs comme "beauté des formes, force physique et intelligence", consacrant ainsi les notions de "races supérieures" et "races inférieures". Comme beaucoup d'autres, il postule alors la supériorité originelle de la "race blanche" qui possède selon lui, le monopole de ces trois données et sert alors de norme lui permettant de classer le Noir dans une infériorité irrémédiable au plus bas de l'échelle de l'humanité et les autres "races" comme intermédiaires. Une telle classification se retrouve dans les programmations parisiennes des zoos humains et conditionne largement l'idéologie sous-jacente de ces spectacles. Lorsque les Cosaques sont, par exemple, invités au Jardin zoologique d'acclimatation, l'ambassade de Russie insiste pour qu'ils ne soient pas confondus avec les "nègres" venus d'Afrique et, lorsque Buffalo Bill arrive avec sa " troupe ", il trouve sans conteste sa place au jardin grâce à la présence d'"indiens" dans son spectacle ! Enfin, lorsque les Lilliputiens sont présentés au public, ils entrent sans aucun problème dans la même terminologie de la différence, de la monstruosité et de la bestialité que les populations exotiques !
Dans un tel contexte, le darwinisme social, vulgarisé et réinterprété par un Le Bon ou un Vacher de Lapouge au tournant du siècle, trouve sa traduction visuelle de distinction entre "races primitives" et "races civilisées" dans ces exhibitions à caractère ethnologique. Ces penseurs de l'inégalitarisme découvrent, à travers les zoos humains, un fabuleux réservoir de spécimens jusqu'alors impensable en métropole. L¹anthropologie physique, comme l¹anthropométrie naissante, qui constitue alors une grammaire des "caractères somatiques" des groupes raciaux - systématisé dès 1867 par la Société d¹anthropologie avec la création d¹un laboratoire de craniométrie -, puis le développement de la phrénologie, légitime le développement de ces exhibitions. Elles incitent les scientifiques à soutenir activement ces programmations, pour trois raisons pragmatiques: une mise à disposition pratique d'un "matériel" humain exceptionnel (variété, nombre et renouvellement des spécimensŠ); un intérêt du grand public pour leurs recherches et donc une possibilité de promouvoir leurs travaux dans la grande presse; enfin, la démonstration la plus probante du bien-fondé des énoncés racistes par la présence physique de ces "sauvages". De toute évidence, les civilisations extra-européennes, dans cette perception linéaire de l¹évolution socioculturelle et cette mise en scène de proximité avec le monde animalier, sont bien évidemment considérées comme attardées, mais civilisables, donc colonisables. Ainsi, la boucle est bouclée. La cohérence de tels spectacles devient une évidence scientifique, en même temps qu'une parfaite démonstration des théories naissantes sur la hiérarchie des races et une parfaite illustration in situ de la mission civilisatrice alors en marche outre-mer. Scientifiques, membres du lobby colonial ou organisateurs de spectacles y trouvent leur compte.

La mise en pratique des fondements anthropologiques "darwiniens" à la science politique, illustrée et popularisée par de telles exhibitions, va très vite donner une résonance au projet "eugéniste" de Georges Vacher de Lapouge et cons¦urs dont le programme consistait en l¹amélioration des qualités héréditaires de telle ou telle population au moyen d¹une sélection systématique et volontaire. Très significativement, les exhibitions de "monstres" (nains ou lilliputiens comme au Jardin Zoologique d'Acclimatation en 1909, bossus ou géants dans les nombreuses fêtes foraines itinérantes, macrocéphales ou albinos "nègre" comme en 1912 à Paris) connaissent au tournant du siècle une très forte popularité, qui accompagnent et interpénètrent le succès foudroyant des zoos humains. Sans doute eugénisme, darwinisme social et hiérarchie raciale se répondent-elles dialectiquement. Sans doute participent-elles d¹une même angoisse devant l¹altérité, angoisse qui trouve alors son exutoire dans une rationalisation inégalitaire des "races", dans une stigmatisation commune du "taré" et de l¹"indigène".

Contrôler, dominer, domestiquer, apprivoiserŠ la sauvagerie


Les zoos humains se trouvent ainsi au confluent d¹un racisme populaire et de l¹objectivation scientifique de la hiérarchie raciale, toutes deux portées par l¹expansion coloniale. Remarquable indice de cette confluence, les "exhibitions ethnologiques" du Jardin zoologique d¹Acclimatation sont légitimées, comme nous l'avons vu, par la Société d¹Anthropologie et par la quasi-totalité de la communauté scientifique française, qui trouvent dans les différentes populations importées des spécimens vivants qu¹elles peuvent utiliser dans leurs propres recherches. Même si, entre 1890 et 1900, la Société d¹Anthropologie devient nettement plus circonspecte quant au caractère "scientifique" de tels spectaclesŠ elle ne peut qu'apprécier cet afflux des quatre coins du monde de populations qui lui permettent d'approfondir ses recherches sur la diversité des "espèces". La rupture va naître finalement de l¹importance croissante donnée à ces divertissements appréciés du public, et surtout à leur caractère de plus en plus populaire et théâtral.
Il faut dire que ces spectacles ­ mais aussi les exhibitions au Champ de mars et aux Folies-Bergères - se structurent sur une mise en scène de plus en plus élaborée de la "sauvagerie": accoutrement baroque, danses frénétiques, simulation de "combats sanguinaires" ou de "rites cannibales", insistance des programmes publicitaires sur la "cruauté", la "barbarie" et les "coutumes inhumaines" (sacrifices humains, scarificationsŠ)Š Tout converge pour qu¹entre 1890 et la Première Guerre mondiale, une image particulièrement sanguinaire du sauvage s¹impose. Ces "spectacles" ­ construits sans aucun souci de vérité ethnologique est-il besoin de le préciser! ­ renvoient, développent, actualisent et légitiment les stéréotypes racistes les plus malsains qui forment l¹imaginaire sur l¹autre au moment de la conquête coloniale. Effectivement, il est essentiel de souligner que la "fourniture de ces indigènes" suit étroitement les conquêtes de la République Outre-mer, recevant l¹accord (et le soutien) de l¹administration coloniale et contribuait à soutenir explicitement l¹entreprise coloniale de la France.
Ainsi, les Touareg furent exhibés à Paris durant les mois suivant la capture française de Tombouctou en 1894; de même les Malgaches apparurent une année après l¹occupation de l¹île; enfin, le succès des célèbres amazones du royaume d'Abomey fait suite à la très médiatique défaite de Behanzin devant l'armée française au Dahomey. La volonté de dégrader, d¹humilier, d¹animaliser l¹autre - mais aussi de glorifier la France Outre-mer à travers un ultra-nationalisme à son apogée depuis la défaite de 1870 - est ici pleinement assumée et relayée par la grande presse qui montre, face aux colonisateurs, des "indigènes" déchaînés, cruels, aveuglés de fétichisme et assoiffés de sang. Les différentes populations exotiques tendent ainsi à être toutes montrées sous ce jour peu flatteur: il y a un phénomène d¹uniformisation par la caricature de l¹ensemble des "races" présentées, qui tend à les rendre presque indistinctes. Entre "eux" et "nous", une barrière infranchissable est désormais dressée.
Attractifs! les " sauvages " amenés en Occident le sont sans aucun doute mais ils suscitent cependant un sentiment de crainte. Leurs actions et leurs mouvements doivent être strictement contrôlés. Ils sont présentés comme absolument différents et la mise en scène européenne les oblige à se conduire comme tels puisqu¹il leur est interdit de manifester tous signes d¹acculturation aussi longtemps qu¹ils sont montrés. Ainsi, dans la plupart des manifestations, il est impensable qu¹ils se mélangent avec les visiteurs. Grimés selon les stéréotypes en vigueur, leur accoutrement est conçu pour être le plus singulier possible. Les exhibés doivent en outre rester à l¹intérieur d¹une partie précisément circonscrite de l¹espace de l¹exposition (sous peine d¹amende retenue sur leur maigre solde), marquant la frontière intangible entre leur monde et celui des citoyens qui les visitent, les inspectent. Une frontière délimite scrupuleusement la sauvagerie et la civilisation, la nature et la culture.

Le plus frappant dans cette brutale animalisation de l¹autre est la réaction du public. Au cours de ces années d'exhibitions quotidiennes, fort peu de journalistes, d'hommes politiques ou de scientifiques s¹émeuvent des conditions sanitaires et de parcage ­ souvent catastrophiques ­ des "indigènes" ; sans même parler des nombreux décès de populations (comme lors de la présence des indiens Kaliña (Galibi) en 1892 à Paris ) peu habituées à nos climats. Quelques récits soulignent néanmoins l'effroi devant de tels spectacles. Au c¦ur de ceux-ci, l¹attitude du public n¹est pas le sujet le moins choquant: nombre de visiteurs jettent nourriture ou babioles aux groupes exposés, commentent les physionomies en les comparant aux primates (reprenant en cela l¹une des antiennes de l¹anthropologie physique, avide de débusquer les "caractères simiesques" des indigènes), ou rient franchement à la vision d¹une Africaine malade et tremblante dans sa case. Ces descriptions ­ certes lacunaires ­ démontrent assez le succès de la "racialisation latente des esprits" chez les contemporains. Dans un tel contexte, l¹Empire pouvait se déployer en toute bonne conscience et instituer en son sein l¹inégalité juridique, politique et économique entre Européens et " indigènes ", sur fond de racisme endémique, puisque la preuve était donnée en métropole, que là-bas, il n'y avait que des sauvages juste sortis des ténèbres.

Des zoos humains aux villages noirs, un monde de déviants


Les zoos humains ne nous révèlent évidemment rien sur les "populations exotiques". En revanche, ils sont un extraordinaire instrument d¹analyse des mentalités de la fin du XIXe siècle jusqu¹aux années 30. En effet, par essence, zoos, expositions et jardins avaient pour vocation de montrer le rare, le curieux, l¹étrange, toutes expressions du non-habituel et du différent par opposition à une construction rationnelle du monde élaborée selon des standards européens .
Ces mascarades furieuses ne sont-elles pas finalement l¹image renversée de la férocité ­ bien réelle celle-là ­ de la conquête coloniale elle-même? N¹y a-t-il pas la volonté ­ délibérée ou inconsciente ­ de légitimer la brutalité des conquérants en animalisant les conquis ? Dans cette animalisation, la transgression des valeurs et des normes de ce qui constitue, pour l¹Europe, la civilisation, est un élément moteur. Dans le domaine du sacré, la norme sexuelle est bien évidemment première. La polygamie touche ainsi l¹un des fondements socio-religieux de la famille chrétienne. Le fait que les zoos humains accueillent des familles entières ­ avec les différentes épouses du chef de famille ­ est significatif. On vient contempler au mieux une incompréhensible bizarrerie, au pire la manifestation d¹une lubricité animale. Avec dans le regard une interrogation en suspens, le désir inassouvi d¹un fantasme qui, en Occident même, est le revers de l¹interdit.

Le thème de la sexualité est particulièrement développé. Pour les "Noirs", le mythe d¹une sexualité bestiale, plurielle, prend corps. Dans ce mythe dans lequel entrent des considérations physiques (une grande vitalité de même que des organes génitaux ­ chez l¹homme et chez la femme ­ que l'on considère comme surdéveloppés), se cristallise cette ambivalence fascinée pour des êtres à la frontière de l¹animalité et de l¹humanité. Cette vitalité sexuelle renvoie elle-même à une vitalité corporelle d¹ensemble ­ visible par exemple dans nombre de gravures des grands journaux illustrés de l¹époque évoquant le combat vigoureux de "tribus" presque nues face aux troupes coloniales ­, provoquant une fascination pour le corps du "sauvage". Cette fascination est le produit de l¹inquiétude, vive à la fin du XIXe siècle, de la "dégénérescence biologique" de l¹Occident .
Dans le registre de la transgression du sacré, la récurrence du thème de l¹anthropophagie est révélatrice. Alors qu¹on ne sait à peu près rien à la fin du XIXe siècle d¹une pratique sociale fortement ritualisée et de toute manière extrêmement limitée en Afrique subsaharienne, les images de "sauvages anthropophages" envahissent tous les supports et sont l¹un des arguments les plus vendeurs des zoos humains (jusqu'à l'Exposition coloniale internationale de 1931 et la présence périphérique des Kanak) . Le cannibalisme rompt en effet un tabou majeur: le rapprochement avec le monde animal s¹impose d¹évidence. Les mises en scènes très évocatrices à ce sujet dans les exhibitions ou dans le cadre de salles de spectacles révèlent la puissance du thème.

A partir de l¹exposition universelle de 1889 jusqu¹à la fin de l¹entre-deux-guerres, les expositions vont se multiplier et tout particulièrement les expositions coloniales. Dans la quasi-totalité d¹entre-elles, un "village nègre", "indochinois", "arabe" ou "kanak" est proposé à la curiosité des visiteurs. Simultanément, ces villages "nègres", puis "noirs" ou "sénégalais" ‹ signe d'une évolution sémantique fort intéressante au lendemain de la Grande Guerre ‹, deviennent des attractions autonomes, itinérantes et parfaitement instrumentalisées en province, mais aussi dans toute l'Europe ou aux Etats-Unis. Les présentations se sont succédées, année après année, à travers quatre ou cinq "troupes" distinctes sillonnant les grandes expositions régionales, comme Amiens, Angers, Nantes, Reims, Le Mans, Nice, Clermont-Ferrand, Lyon, Lille, Nogent, OrléansŠ et les grandes villes (et zoos) européens comme Hambourg, Anvers, Barcelone, Londres, Berlin ou Milan, autant de lieux où ont afflué 200 000 à 300 000 visiteurs par exhibitions.
Les mises en scènes sont ici beaucoup plus "ethnographiques" et les "villages" ressemblent à des décors de carton pâte dignes des productions hollywoodiennes de l'époque sur l'Afrique mystérieuse . On admire les productions locales et l'"artisanat" commercialisé (sans doute l'un des tout premier "Art nègre" destiné au grand public!), des formes particulières d¹organisations sociales sont progressivement reconnues, quand bien même elles sont généralement montrées comme les traces d¹un passé que la colonisation doit impérativement abolir. Les reconstitutions fantaisistes de "danses indigènes" ou les épisodes historiques fameux s¹espacent et s¹estompent.

Une autre conjoncture se dessine: le "sauvage" (re)devient doux, coopératif, à l¹image à vrai dire d¹un Empire qu¹on veut faire croire définitivement pacifié à la veille de la Première Guerre mondiale. A cette époque, les limites territoriales de l¹Empire sont en effet tracées. A la conquête succède la "mission civilisatrice", discours dont les expositions coloniales se feront les ardents défenseurs. Au militaire succède l¹administrateur. Sous l¹influence "bénéfique" de la France des Lumières, de la République colonisatrice, les "indigènes" sont replacés au bas de l¹échelle des civilisations, alors que la thématique proprement raciale tend à s¹effacer. Les villages nègres remplacent les zoos humains. L¹indigène reste un inférieur, certes, mais il est "docilisé", domestiqué, et on découvre chez lui des potentialités d¹évolution qui justifie la geste impériale. Cette nouvelle perception de l¹autre-indigène trouvera son acmé lors de l¹Exposition coloniale internationale de Vincennes en 1931 qui, étendue sur des centaines d¹hectares, est la mutation la plus aboutie du zoo humain sous couvert de mission civilisatrice, de bonne conscience coloniale et d¹apostolat républicain.
Les zoos humains constituent ainsi un phénomène culturel fondamental ­ et jusqu¹alors totalement occulté ­ par son ampleur mais aussi parce qu¹il permet de comprendre comment se structure le rapport que construit alors la France coloniale, mais aussi l¹Europe, à l¹autre. De fait, la plupart des archétypes mis en scène par les zoos humains ne dessinent-ils pas la racine d¹un inconscient collectif ­ qui prendra au cours du siècle de multiples visages ­ qu¹il est aujourd¹hui indispensable de déconstruire , ne serait ce qu¹en référence à un récent sondage indiquant qu¹aujourd¹hui plus des deux tiers des Français s¹affirment racistes ?