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Questions aux écrivains

 

 

Jules Marchal est né en 1924 en Belgique, et est décédé le 21 juin 2003 à Hoepertingen. Docteur ès philosophie et lettres de l’Université Catholique de Louvain, il a été fonctionnaire territorial au Congo belge de 1948 à 1960, conseiller technique au Congo-Zaïre de 1960 à 1967 et enfin diplomate jusqu’en 1989. Ses travaux de recherche, entrepris depuis 1975, ainsi que ses nombreuses publications, concernent la période de l’histoire de la colonisation belge du Congo.

PC: Cela fait 25 ans que vous avez débuté vos recherches concernant l’Histoire de la colonisation du Congo. Qu’est-ce qui vous pousse à continuer ?

JM: "Je continue parce qu’il reste beaucoup à révéler sur la période totalement inconnue de 1910 à 1945 dont les archives ont été rarement explorées".

PC: D’où provient la majeure partie de vos sources ?

JM: "De l’ancien Ministère des Colonies à Bruxelles".

PC: Ces sources sont-elles irréfutables, autrement dit, peut-on historiquement les mettre en doute?

JM: "Elles sont irréfutables parce qu’il s’agit des correspondances entre le Ministère des Colonies et son administration en Afrique".

PC: Avez-vous des détracteurs ? Si oui, qui sont-ils?

JM: "Comme détracteurs, je n’ai que les associations des anciens coloniaux créées à une époque lointaine pour défendre l’honneur de Léopold II et de la colonisation belge".

PC: Est-ce que des Belges vous contactent pour avoir des informations à ce propos? Des Congolais? Si non, pourquoi à votre avis?

JM: "Des Belges me téléphonent au sujet de mes livres, les Congolais vivant en Belgique, rarement. Je n’ai pas de contacts avec les Congolais d’Afrique. Je comprends le peu d’intérêt marqué par les Congolais vivant en Belgique, occupés par les problèmes des nécessités de la vie. Sans le moindre privilège par rapport aux autres étrangers, vivant souvent des allocations payées par la Belgique, cherchant un emploi, essayant d’obtenir la nationalité belge, ils se trouvent dans une situation inconfortable pour clamer les méfaits passés des belges au Congo".

PC: Comment jugez-vous le livre d’A.Hochschild Les fantômes du roi Léopold II ?

JM: "Un chef-d’oeuvre, sans une seule erreur quant aux faits historiques relatés"

PC: Vous avez vécu et travaillé pendant 19 ans au Congo (et au Zaïre) dont 12 ans pendant la colonisation. Vous parlez d’un grand nombre d’exactions sur les Congolais dans vos livres. Avez-vous été le témoin de telles exactions? Si oui, quels étaient vos sentiments à cet égard (le régime de la chicotte p.ex.) ?

JM: "J’ai vécu certaines exactions sous une forme adoucie: la culture obligatoire du coton (mal payé), l’établissement de paysannats pour le coton (agriculture planifiée), l’entretien de routes et la construction de gîtes d’étape sans paiement adéquat, l’usage de la chicotte (8 coups par séance à mon arrivée en 1948, ramenés à 4 coups quelque 3 ans plus tard). En tant qu’administrateur territorial, je n’avais aucun sentiment à avoir à l’égard de ces matières, dont l’exécution ou l’application m’incombait. Je me rends compte actuellement que le prestige du service territorial, dont moi et mes collègues étions si fiers a l’époque, reposait principalement sur la peur pour la chicotte que l’administrateur pouvait faire infliger à l’Africain, en le condamnant à la prison où son usage était réglementaire."

PC: Le Journal Le Soir des 24 et 25 juin 2000 a présenté un dossier sur le Congo. Il parle de belgitude, des amours passées entre la Belgique et le Congo. Comment qualifiez-vous ces propos?

JM: "Ces propos sont ridicules, tenus par des gens qui ne connaissent rien de l’Histoire du Congo. Mais ces gens sont souvent de bonne foi, cette Histoire n’ayant jamais été exposée objectivement auparavant."

PC: On parle souvent des écoles, des universités, des hôpitaux qui ont été construits par les Belges pour les Congolais. Qu’en est-il ?

JM: "Des écoles primaires, il y en avait partout. On a poussé l’enseignement secondaire à partir de 1950, et introduit l’enseignement universitaire à partir de 1955. Selon Crawford Young (History of Africa-Vol 8), en 1960, 136 écolières terminèrent l’enseignement secondaire et 14 universitaires congolais furent diplômés. On le voit une situation dont il n’y a pas lieu de se vanter. Quant aux hôpitaux, dans les territoires à l’intérieur du pays, chaque médecin avait son hôpital, parfois rudimentaire. Il y avait de un à quatre médecins (soit de l’état voire d’une entreprise ou encore d’une mission catholique ou protestante) pour un territoire grand comme la Belgique. Il n’y avait pas d’ambulance. Ce n’était donc pas fameux. Mais il y avait nombre de dispensaires dans les missions et des agents sanitaires parcouraient le pays, ce qui fait qu’au point de vue médical, la situation au Congo était comparable à d’autres pays africains.

PC: Quelle était la différence entre colonie scolaire et école ?

JM: "Les colonies d’enfants, baptisées plus tard colonies scolaires, étaient des établissements créés par l’état pour héberger des enfants, destinés à recevoir un enseignement rudimentaire en vue de leur incorporation dans la Force Publique. Actuellement, on dirait école avec internat. Elles étaient dirigées par des missionnaires catholiques et furent intégrées dans le système de l’enseignement catholique mis sur pied par ceux-ci et subventionné par l’état. On peut dire qu’au Congo, l’enseignement était l’affaire des missions catholiques jusqu’à la veille de l’indépendance."

PC: A votre connaissance, est-ce qu’un politicien belge n’a jamais émis l'idée d’une éventuelle commémoration des victimes Congolaises de la colonisation ?

JM: Non

PC: Les 100 ans de l’avenue de Tervuren ont été fêtés en grande pompe à BXL il y a quelques années. On serait tenté de penser que les belges ne connaissent pas les crimes qui se sont passés au Congo ?

JM: "Les Belges ne connaissent en effet pas les crimes qui se sont passés au Congo. Ils s’imaginent que leur système colonial était le meilleur d’Afrique. Alors que le contraire semble plutôt vrai…Beaucoup de Belges veulent pourtant savoir et liraient mes livres si la presse en parlait. C’est là que le bât blesse. Le seul article paru à ce jour sur mes écrits dans la presse francophone, est celui de la ‘Libre Belgique’ [ "Le rail: pages noires de l’histoire coloniale, article paru le 27juin 2000"]

 

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